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Textes et Presse

Texte de Guillaume Constantin,

Artiste et chargé des Arts visuels aux instants Chavirés, Paris.

Avril 2022 
Texte rédigé dans le cadre des rencontres  "Rendez-vous Demain" organisées  par Le Centre d'Art Le Grand Café, Saint-Nazaire, en octobre 2021.

So quiet, i can hear that the refrigerator is on (1)

C’est la première phrase prononcée par Geoff Karina, leader alors du groupe indépendant américain Karate, dans le premier morceau de leur troisième album (2). Intitulé There Are Ghosts, ce morceau déroule une rock-pop teintée de jazz des plus classiques, bien loin des contrées sonores explorées par Chloé Malaise.

Cependant, cette poétique évocation d’un son quotidien renvoie très littéralement à un morceau de l’artiste, Frigide air, un drone délicatement retravaillé, comme son nom l’indique, à partir d’un enregistrement du bruit du réfrigérateur de son appartement. La même opération de field recording se répètera durant un mois de l’année 2016 dans les 30m2 de son habitacle (et autour) à partir du compteur électrique, de l’ascenseur, de l’ordinateur... (3) validant l’adage bien connu de John Cage : « Quand un bruit vous ennuie, écoutez-le ». Chloé Malaise évoque, par ailleurs pour cette série de pièces, les musiques minimalistes et autres mantras sonores préparés qui se retrouvent ici dans le traitement de sons essentiellement acoustiques, voire inaudibles, précisant ainsi son idée « de mettre en exergue les harmonies infra-minces qu’ils contiennent ».

 

Un même jeu sur la quotidienneté se retrouve dans ses Machines invisibles (2016) qui se révèlent par l’extraction de leurs sons « électroménagers » émanant d’une grande maquette architecturale posée au sol. Inspirées de bâtiments contemporains réels, ces constructions de carton plume dégagent un sentiment quelque peu rétro-futuriste. Are There Ghosts ? L'activité sonore permanente de ces architectures est à l’image de leurs proliférations visuelles : frénétiques et entropiques comme l’affirme l’artiste.

D’autres fantômes, virtuels ce coup-ci, apparaissent dès 2015 pour les Mécarchitectures (un projet toujours en cours) et entre 2016 et 2020 pour les volumes modélisés de la série Make or (not). Il s’agit là aussi d’architectures dessinées en 3D mais traitées comme des assemblages, des collages flottants constitués d’édifices existants, de fichiers open source allant du bâtiment à la machine, de l’objet au micro-composant. Des émanations purement numériques que l’artiste qualifie de Tumeurs urbaines : des corps étrangers à l’autonomie dérangeante comme le produit, souvent, la numérisation d’organes anatomiques.

 

Les installations Hardware city (2019) & Half life (2018) prolongent cette recherche de corps étrangers et de systèmes mis à nu qui n’est pas sans évoquer le parcours du duo californien Matmos, connu pour ses compositions à base de sons chirurgicaux (A Chance To Cut Is A Chance To Cure - 2001) ou d’ustensiles en polymères synthétiques (Plastic Anniversary - 2019). Dans ce sillage, Chloé Malaise déploie dans Half life un dispositif de survie pour gadgets électroniques défectueux dont les circuits récupérés sont soigneusement    placés dans des cloches, des « couveuses » (précise-t-elle) soufflées en verre par l’atelier Arcam Glass. Une certaine mélancolie se dégage de ces circuit-bendings, le filtrage du son entre matières et micros contacts condensant sa propre présence : un larsen ténu comme un dernier souffle. Un contraste marqué avec l’appareillage technique en présence, d'aspect quasi-médical : déluge arrangé de câbles, table roulante en inox et « couveuses » de verre Cronenberg-iennes. Toujours la machine.


« En 1967, l’écrivain américain Richard Brautigan écrit et distribue dans les rues de San Francisco le court poème intitulé « All Watched Over by Machines of Loving Grace »,    qui décrit une harmonie « mutuellement programmée » entre les machines, les animaux et les êtres humains. Une utopie toutefois condamnée à échouer sous le regard de machines pleines d’amour et de grâce. Cinquante ans plus tard, si les machines sont partout, elles se sont paradoxalement effacées en intégrant tous les aspects de nos environnements de travail et de nos espaces domestiques » écrit le commissaire d’exposition Yoann Gourmel en 2017 à l’occasion de l’exposition éponyme au Palais de Tokyo (Paris). L’installation Deus ex machina (2020) que Chloé réalise avec Richard Malaise intègre cette idée d’harmonie programmée et son échec en quelque sorte par la fabrication d'une nature réitérée et dorénavant rendue inaccessible, comme une sorte de paradis perdu ou illusoire.

A Daily WifiBox Concerto (2019) atteste aussi, d’une certaine manière, de l’intégration des machines dans le quotidien dont parle Yoann Gourmel. Mais le détournement, le hacking poétique de routeurs wifi proposé ici par Chloé Malaise démontre, une fois de plus, une prise en main de ces machines, un jeu conscient face à l’asservissement tacite de celles-ci. Une prise de position de l’artiste, comme beaucoup d’autres, qui marque une résistance mais qui, dans son cas, ne se veut pas complètement antagoniste. Au contraire, le libre accès aux pédales d’effets du dispositif pour le public permet par exemple une réception et un partage différents de l’oeuvre, en écho aux nombreux workshops, performances live (LightSHOOT, 2021) et concerts menés par l’artiste. Des pratiques de transmission, une forme d’activisme, qui traduisent au mieux cette idée d’échange que la notion d’interface, numérique ou non, incarne absolument.

 

They will crawl up in your skin, and they will come out from the walls if you let them (4) est la toute dernière phrase du morceau There Are Ghosts évoqué au début de ce texte. Il y est donc question de fantômes, mais ne pourrait-il pas s'agir tout aussi bien de ces machines invisibles ? Celles de Chloé Malaise, quoi qu'il arrive, ne se veulent jamais autoritaires et restent par-dessus tout hypersensibles.

 

 

G. Constantin

Avril 2022

 

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(1) Tout est si calme, je peux même entendre que le réfrigérateur est en marche

(2) The Bed is in the Ocean - 1998 - Southern Records.

(3) Machines relaxation for well-being everyday - Chloé Malaise (CD 2016)

(4) Ils se glisseront dans votre peau, et sortiront des murs si vous les laissez faire

Entretien avec l'association APO33

Septembre 2020, 
Au sujet de l'installation Deux ex Machina présenté à l'exposition "A l'épreuve du temps sauvage" , à la Plateforme Intermédia, à Nantes, dans le cadre du Festival Electropixel 10.1.

Comment est née votre collaboration fille-père ? En quoi le thème “A l’épreuve du temps sauvage” vous a t-il influencé?


C’est notre première collaboration. A la découverte du titre de l’exposition « A l’épreuve du temps sauvage », j’ai choisi d’inviter mon père à collaborer avec moi: il m’a tout de suite paru pertinent de confronter nos deux univers à la fois opposés et liés : Nature/Technologie, pour les faire dialoguer dans un projet commun. Lui, travaille depuis de nombreuses années l’image virtuelle, particulièrement celle de paysages de Nature imaginaire et poétique. Quant à moi, je m’attache à travailler le son et l’installation sonore au profit d’une observation poético-critique de l’environnement technologique de notre époque.
Dans cette installation, « le Temps sauvage » est finalement un artifice, une aventure amoureuse naïve et tendre avec la nature pensée et dessinée par l’homme avec soin et en détail. Cependant dans cette idylle virtuelle le paysage sonore n’est autre que le chant des technologies que nous utilisons au quotidien : notre décor réel recomposé comme une seconde nature: un Artefact.
En ce sens, le titre de l’exposition “A l’épreuve du temps sauvage” nous à finalement renvoyés à la question « Que reste-t-il du temps sauvage ..? »

Quel est votre rapport artistique à la Nature et à l’artificiel ? Y a-t-il une démarche écologique ?


Pour moi c’est une première apparition formelle de « Nature » dans un projet. Sans exclure son interrogation, j’ai plutôt tendance à travailler sur le négatif de la nature : la technologie, la construction humaine, mais souvent en leur donnant des allures artificielles-organiques, vivantes en quelque sorte.
C’est ma manière de penser que l’Écologie passe aussi par une reconsidération et une conscientisation de nos outils technologiques, et de leur place dans nos vies, pour qu’ils prennent à l’avenir moins de terrain sur la Nature qu’aujourd’hui, ou qu’ils s’équilibrent mieux avec elle.

La partie sonore de l’œuvre est recomposée à partir d’objets électroniques du quotidien. Pouvez-vous nous parler de votre travail sur le son ? Comment l’avez-vous construit ?


Paradoxalement, pour composer avec ces sons électriques-électroniques, je suis d’abord allée écouter et enregistrer à l’aide de micros binauraux des sons en pleine nature. Ce type de micro permet d’amplifier les sons environnants entendus par l’oreille humaine. Cela m’a permis d’étudier « la composition » de différents espaces de nature, je notais la récurrence des éléments : son ponctuel, son permanent, son qui varie…
Ensuite les sons électriques ont été choisis et surtout travaillés pour leur ressemblance, et ce qu’ils pouvaient remplacer dans leur occurrence, dans les vrais sons de nature.
Le son du ventilateur d’un ordinateur est à la fois aussi constant et variant que le son du vent et devient la brise de cette « jungle ». Les petits sons électromagnétiques du compteur électrique deviennent le vrombissement aigu d’insectes de passage.
Ces sons qui font partie de notre décor constant sont aussi bien intégrés, peut-être même plus, à notre environnement sonore que les sons de la nature : c’est ce qu’il m’intéressait d’exploiter dans cette partie du projet.

Entretien avec Elisa Rigoulet,

aout 2019, 
Pour l'édition du catalogue d'exposition Felicità, aux Beaux art de Paris.

Tu t’intéresses aux architectures qui nous entourent. Tu entends par là toute forme matérielle créée et utilisée par l’Homme. Le son en fait-il partie ? 

 

Je dirais plutôt que je perçois le son comme un “résidu-témoin” de l'omniprésence matérielle et surtout technologique de l’Homme. Ce qui m'intéresse beaucoup dans les sons de machines, c’est qu’ils dévoilent souvent beaucoup plus sur l’objet, que ce que nous montre ou nous vend le design de celui-ci. Je trouve qu’ils peuvent être porteurs d’une réalité plus franche, sans interface.

Le son est-il une manière de se réapproprier le réel en sculptant et assemblant ses formes immatérielles et d'éprouver ainsi une certaine maîtrise de l'humain sur la technologie ? 

 

Bien sûr, j'appartiens à une génération qui n’a pratiquement pas connu le monde sans internet, sans les ordinateurs, ou les téléphones portables. Nous les utilisons quotidiennement, mais nous avons très peu de contrôle quant à leurs réels fonctionnements, nous sommes conditionnés à n’en être que des utilisateurs passifs.  Sculpter à partir de ces sons est pour moi une forme de Hacking, une réappropriation. Je vois le son comme une matière possible à sculpter, à agencer, à composer.

 

Dans ton travail en effet, la technologie n’est pas un dogme mais un outil qui doit être guider, appuyer, épauler. C’est une idée importante pour toi ?

 

Oui, vue la dystopie écologique actuelle, je ne comprends pas qu’on apprenne à des enfants à bien éteindre la lumière en sortant d’une pièce, mais qu’on ne leur apprenne pas l'énergie que consomme leur utilisation d’internet par exemple (serveurs etc…). Il y a un voile sur le fonctionnement réel de nos technologies, qui a tout intérêt, pour le marketing industriel, à être préservé. Mes réappropriations techniques sont des tentatives de lever ce voile, entre autre par le son.

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